Charles Laville-Mery et Maitre Chen
Origines
Dans sa traduction du chapitre 1 du Tao Te King (Dao De Jing 道德經), Léon Wieger commente :
« Avant les temps, et de tout temps, fut un être existant de lui-même, éternel, infini, complet, omniprésent. Impossible de le nommer, d’en parler, parce que les termes humains ne s’appliquent qu’aux êtres sensibles. Or l’être primordial fut primitivement, et est encore essentiellement non sensible. En dehors de cet être, avant l’origine, il n’y eut rien. On l’appelle ou (wu 無) néant de forme, huan (xuan 玄) mystère, ou tao (dao 道) principe. On appelle sien-t’ien (先天 xiān tiān), avant le ciel, l’époque où il n’y avait encore aucun être sensible, où l’essence du principe existait seule. Cette essence possédait deux propriétés immanentes, le yinn (陰) concentration et le yang (陽) expansion, lesquelles furent extériorisées un jour, sous les formes sensibles ciel (yang) et terre (yinn). Ce jour fut le commencement du temps. »
Le mythe de P’an kou (Pan Gu 盤古)
Cité pour la première fois dans un texte de Xu Zheng (徐整), le Sānwǔ Lìjì 三五歷紀, Histoire des trois [augustes] et des cinq [empereurs], aujourd’hui perdu, se retrouve dans le HOUA HOU KING (Hua Hu Jing), le Livre de la conversion des Hou.
« Au début était le Chaos, et de cette masse bouillonnante naquirent deux forces, l’une Yang, l’autre Yin.
L’action combinée de ces deux manifestations de l’énergie (du tchi) donna naissance à un Homme nommé PANG KOU.
Il travailla 18.000 années à façonner la terre, le soleil et la lune. Il fut aidé dans sa tâche par le Dragon (Bois – est), le Phénix (Feu – Sud) et la Tortue (Eau – Nord).
Les Cinq Ancêtres apparurent un peu avant que Pang Kou eut terminé de tirer la Terre et le Ciel du chaos.
Le premier Ancêtre, nommé l’Ancêtre jaune, régnait sur la Terre,
l’Ancêtre rouge sur le Feu,
l’Ancêtre noir sur les Eaux,
le Prince des Bois sur les forêts,
la mère des métaux sur les richesses minérales.
À ce moment, apparut le Souverain d’En Haut, Chang Ti.
Les 5 Ancêtres l’assistèrent dans son gouvernement.
Quatre s’établirent aux points cardinaux, l’Ancêtre jaune vint au milieu afin d’enseigner les arts aux humains.
Les Hommes sont issus de la vermine grouillant sur le corps de Pang Kou. »
La manifestation de l’Univers apparaît à partir de cet instant légendaire.
Astronomie de l’univers et de l’universel
Nous sous-entendrons toujours le concept de ou (wu 無), l’innommable; cependant, comme cela a été dit précédemment, nous n’en parlerons plus.
Tai I
Le Taoïsme conçoit donc une origine unique à l’univers : T’ai Yi (Tai Yi 太一) signifiant la Grande Unité ou le Un suprême (selon les traducteurs – l’idée est plus importante que la traduction elle-même).
T’ai Yi (Tai Yi 太一) a également eu un autre nom au fil des millénaires, celui de Tai Tsi (Tai Ji 太极) signifiant le Faîte suprême ou Poutre faîtière (encore une affaire de traduction). T’ai Yi (Tai Yi 太一) désigne des petites étoiles voisines de l’étoile α du Dragon., ι du Dragon sont les noms de 2 étoiles, anciennement polaires, dans les cartes chinoises du ciel, d’où l’idée de leur nom liée au faîte.
Dans le taoïsme Tai Tsi (tai Ji 太极) désigne le Faîte suprême (qui soutient tous les êtres); fondement originel et point de convergence (de l’univers). L’origine unique d’où procèdent le 阴 Yin, le 阳 Yang et leurs développements ( 四象 sì xiàng ou les quatre symboles, 八卦 bā guà ou les huit trigrammes, etc.) mais aussi le cinquième des 五太 Wu Tai ou Cinq Chaos qui président à la genèse du monde.
Le Ciel est une affaire de conscience
Pour les Chinois, comme pour la plupart des civilisations, le monde se résumait au monde visible et perceptible.
En un mot le ciel visible est notre galaxie, la voie lactée. Leur univers est celui de la coupole des étoiles visibles la nuit et limité à notre galaxie.
L’être humain peut percevoir et appréhender seulement cet espace. Il est limité par ses perceptions sensorielles inhérentes aux organes des sens et à l’analyse logique.
Les découvertes du 20e siècle, en matière de conquête spatiale, de téléobjectifs super puissants et de mesures radio électriques viennent révolutionner notre propos. Cependant, l’affirmation des Chinois de l’antiquité est très loin d’être remise en cause. Mesurer et observer le cosmos ne permettent toujours pas de comprendre ni la forme, ni le fond ni le sens de l’univers.
Cependant, les Chinois concevaient un univers plus vaste, total et contenant le ciel visible, il s’agissait pour eux d’un Ciel invisible. Invisible car cet Univers ne peut être appréhendé par les facultés intellectuelles humaines. Il est le domaine de CHEN (shen 神), l’Esprit cosmique universel.
L’alchimie
Les Alchimistes occidentaux du moyen âge avaient la même conception; à cette époque, personne n’avait pu découvrir le ciel au-delà de son espace visible, c’est-à-dire notre seule galaxie. Ainsi, en Occident, la découverte de l’immensité universelle contenant des milliards de galaxies remonte seulement à notre 20e siècle, soit quelques dizaines d’années à peine.
Les anciens Alchimistes définissaient ces 2 mondes ainsi :
- Le Ciel visible : les Petits Mystères.
- Le Ciel invisible : les Grands Mystères.
Les Petits mystères représentaient le savoir astronomique, impliquant la géométrie et l’arithmétique, depuis l’étoile polaire et la coupole des étoiles regroupées en constellations, jusqu’aux planètes dont la Terre et sa position dans l’espace.
L’Ordre universel est celui du Ciel invisible, il est mystérieux car inaccessible à l’Esprit humain; il est le domaine du SIUAN (Xuan 玄), le Mystère céleste.
L’étoile polaire
T’ai Yi (Tai Yi 太一) , l’étoile polaire de l’époque, était dans la constellation de la Grande Ourse.
Dans la haute antiquité, l’étoile polaire se situait astronomiquement dans la constellation de la Grande Ourse; depuis quelque 3 000 ans elle se situe dans celle de la Petite Ourse.
Le peuple chinois concevait un ordre dans l’univers symbolisé par le Tao. Il en déduisait que l’ordre est universel. Il s’applique sans distinction à notre galaxie, notre système solaire, la Terre, le pays, la famille et enfin à eux-mêmes.
La Vie est le miroir et le témoin de cet ordre. Pour vivre le mieux possible et longtemps, il faut être en harmonie avec les lois de l’univers et ses énergies. Elles se manifestent en se mélangeant avec celles de la Terre (saisons et climats) associées aux émanations dues au relief et au sol (géophysique).
Ils appliquèrent, dès la plus haute antiquité, le modèle de leurs conceptions à la galaxie. L’étoile polaire, T’ai Yi (Tai Yi 太一) était l’Empereur céleste avec son image sur Terre, l’Empereur terrestre.
L’Empereur céleste, l’Auguste avait pour miroir l’Empereur terrestre; celui-ci devait dans tous ses comportements, actions, pensées, se soumettre à l’Ordre universel tout en représentant celui-ci sur Terre.
Les directions cardinales orientent l’Empire céleste selon : Nord, Sud, Est, Ouest et Centre par lequel passe l’axe vertical reliant le zénith et le nadir.
L’origine des hommes
À l’origine était le grand Fou Hi (Fu Xi 伏羲), le premier Souverain mythique.
« Fou Hi (Fu Xi 伏羲 ) parla de bonne heure…
il scruta les figures du Ciel,
il observa les formes de la terre et en mesura l’espace… »
De cette observation, il inventa les 8 trigrammes pour décrire tous les phénomènes de l’Ordre universel. Ceci correspond également à l’invention de l’écriture des Chinois.
Ciel antérieur et Ciel postérieur
L’ordre des trigrammes de Fou Hi (Fu Xi 伏羲 ) est particulier et s’appelle le ciel antérieur; bien plus tard un autre roi, le roi Wen (Wen Wang 文王), apporta une autre disposition à ces trigrammes; celle-ci s’appelle le ciel postérieur. Ils ont donné deux figures classiques de la tradition chinoise : le HO T’OU (Ho Tu) et le LO CHOU (Luo Shu)
Les siècles séparant ces deux souverains ont vu un changement, sans doute dans la carte du ciel ou dans la circulation des énergies cosmiques et terrestres.
Le Tao Te King (Dao De Jing 道德經) et le mythe de P’an kou (Pan Gu 盤古) (voir ci-dessus l’origine mythologique) nous apprennent qu’avant l’apparition de la première manifestation existait un principe possédant toutes les possibilités mais non extériorisé. Il est du domaine du Ciel antérieur.
Cette nouvelle disposition des 8 trigrammes est lourde de conséquences et laisse planer encore de nombreux mystères de compréhension.
Cette science des 8 trigrammes a donné naissance au Yi King (Yi Jing 易經) dont les 64 hexagrammes expriment toutes les possibilités de manifestations du Yin Yang, par grandes catégories. Ainsi, dans le monde manifesté il y a 64 formes principales d’énergies (voir les 64 hexagrammes dans le 1er polycopié) à partir desquelles une multitude de manifestations secondaires, tertiaires etc., vont apparaître.
Le centre
À l’image de l’immobilité de l’étoile polaire autour de laquelle tourne visuellement le cosmos, l’Empereur se tenait toujours au centre de l’Empire dans une apparente immobilité et sans sortir de son Palais, le MING TANG (明堂) – Palais de la Lumière.
L’Empire était géré par les nobles occupant les charges de Ministres et vivant dans l’agitation (entendez le mouvement) comme les constellations tournant autour de la polaire.
Le Ming Tang (明堂) est un carré et l’Empire était divisé en 9 régions (voir le glossaire du polycopié N°1, page 1) correspondant aux 8 orientations cardinales et au Centre. Le domaine de l’Empereur était le carré central et son Palais en était le Centre comme la polaire est le centre du Palais central.
Le rang des nobles et Ministres allait du plus important au moins important selon l’orientation cardinale et l’éloignement du centre.
Cependant l’Empereur sortait parfois de son Palais pour visiter ses vassaux en se dirigeant vers les 4 espaces cardinaux de l’Empire. Il suivait le rythme et la nature des saisons, se rendait dans une orientation cardinale précise en respectant l’Ordre universel garant de la bonne conduite des affaires de l’état (au printemps dans l’Est, en été au Sud etc.). La couleur de ses habits était conforme à celle de la saison (vert pour le printemps et l’Est, rouge pour l’été et le Sud etc.).
Sa capitale était donc le centre de l’Empire, lui-même centre du monde, comme la polaire est le centre fixe du ciel.
Ce centre fixe signifie immobile autour duquel tout tourne. C’est le centre, le moyeu de la roue, le vide central, cher aux Taoïstes, dont l’immobilité et le vide sont les garants du mouvement de la Vie. Sans ce vide, la Vie harmonieuse est impossible. L’harmonie, c’est l’Ordre organisant le chaos.
Si le monde terrestre est conforme à l’univers, par analogie, l’être humain est lui aussi constitué sur le même schéma. Le centre de l’Homme est son Cœur; il est le lieu du vide central, le centre de sa Roue, centre par où passe « l’Axe du Monde ». Le Cœur est son Palais central et le centre du cœur lui-même (faisceaux de Hisse et de Purkinge en neurologie) est le Palais du Cœur, l’Empereur.
En médecine chinoise, le Cœur est l’Empereur. Ses troubles retentissent sur chacun de ses sujets (les organes) et il souffre des troubles de chacun d’eux.
L’Empereur est l’intermédiaire entre le Ciel et la Terre ; de ce fait le Cœur de l’Homme est lui aussi intermédiaire.
Tout individu est donc directement relié au Ciel et à la Terre par son Cœur.
Chaque être humain a donc une vie parallèle dégagée et indépendante des lois terrestres, sociales ou autres ; il est responsable de sa démarche et de sa vie, il obéit à son Mandat, son Ming.
L’Empereur est alors Fils du Ciel comme tous les Chinois, car le Ciel donne la vie et la Terre apporte de quoi vivre.
L’on comprend aisément l’importance des perturbations provoquées par la sentimentalité ou les émotions envahissant la quiétude du Cœur et leur retentissement sur l’ordre général de l’organisme.
La quiétude du Cœur devient la recherche première du Taoïste; elle passe par les préceptes concernant l’attitude à adopter face à la vie.
- Cette attitude était la source de l’harmonie dans l’Empire.
- Le pays était en paix et prospère.
- Le peuple était heureux et comblé.
- Le Chinois vivait en humain.
La Vie
Tous les rites et rituels en découlent. Ils sont destinés à réaliser les cérémonies dont le symbolisme colle à la réalité afin de maintenir l’harmonie entre le Ciel – TIENN (Tian 天) et la Terre – TI (Di 地), comblant ainsi l’Homme – Jen (Ren 人) de leurs bienfaits d’engendrement mutuel.
Nous verrons que le Ciel est la tête de l’Homme, la Terre est le bas du corps (sous le nombril) et l’Homme est la sphère digestive. Tous les rapports et les lois dont nous parlons s’appliqueront à l’être humain.
Le Ciel – Yang féconde en permanence la Terre – Yin. La Vie apparaît au niveau du lieu où s’échangent le Yin et le Yang, c’est-à-dire à la surface de la terre et dans son atmosphère.
Cela se résume à deux énergies très évidentes : une certaine quantité de chaleur et de lumière descendant du Ciel, et d’humidité montant de la Terre (ni trop, ni pas assez). La fécondation de la femme et la nidation (fixation dans l’utérus) de l’œuf dépendent des mêmes critères et ne sont pas seulement une affaire d’hormones.